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Taitaiko Go Gajariho – Chapitre des « Purs Standards pour la Communauté Zen »

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Taitaiko Go Gajariho – Chapitre des « Purs Standards pour la Communauté Zen »

Par Sebastian Mokusen Volz

Maître Dôgen, dans une première période à Kyoto a développé les enseignements essentiels sur la voie et l’essence du Zen, insistant sur l’efficacité de Zazen dans le Shobogenzo.

Après cette étape de 16 années, il a fondé Eihei-ji et a développé les enseignements pour une pratique continue propre à la vie monastique. Cette pratique prend sa source dans Zazen et s’organise autour de l’estrade où les moines font Zazen.

Pendant l’Ango que j’ai vécu l’année dernière, cette vie monastique m’a semblé être organisée pour que l’abandon à la voie soit complet. Puisque le cycle des journées est préétabli, adapté à la nature et à l’équilibre de l’être humain, il n’y a plus de choix à faire et le mental se détend. La vie s’écoule de manière fluide et l’esprit qui ne recherche pas de gain, Mushotoku, se réalise.

La quatrième partie des règles de Eihei-ji concerne le comportement juste lorsque l’on rencontre des enseignants expérimentés. Cette expérience est mesurée en nombre d’Angos. Cinq confèrent la position d’Atari – enseignant -, dix celle d’Osho – prêtre -.

Les soixante-deux règles qui sont énoncées dans ce chapitre sont destinées à établir un lien de respect entre l’enseignant et le moine, afin que l’apprentissage se fasse de manière verbale et non-verbale.

Pour révéler le sens de ce respect, voici une petite histoire :

« Un Samourai impétueux et fier pénétra un jour dans le temple d’un vieux moine. Sans prévenir, il fit irruption dans la salle où le moine vaquait à ses occupations. Et il demanda alors impérativement:

« Révèle-moi le secret du paradis et de l’enfer !Le vieux moine esquissa un sourire et lui lança :

– Un homme aussi stupide que toi n’est pas capable de comprendre. »

Le Samurai, outré et dominé par la colère, dégaina son sabre et se jeta sur son interlocuteur. Juste au moment où le sabre s’éleva dans les airs pour frapper, le moine proféra d’une voix puissante :

« C’est cela l’enfer !

Impressionné et interloqué le Samourai stoppa net. Réalisant le sens des mots qu’il venait d’entendre, il se prosterna. A ce moment précis, le Maître lui fit cette révélation :

– Voilà le paradis ».

Les soixante-deux règles peuvent être résumées par l’esprit de cette prosternation face à la vérité révélée. Cette vérité s’exprime à travers le corps de ce Taitaiko qui a vécu cinq ou dix Angos, à travers ses gestes, son aura et ses paroles.

L’abbé du temple où j’ai passé trois mois, a passé sa vie à pratiquer les Angos. Ses yeux sont brillants, sa voix d’une grande douceur, ses gestes particulièrement fins. Il évolue toujours en silence et discrètement. Il voit les erreurs de chacun. Il ne dit rien et laisse les moines responsables intervenir, à moins que l’erreur se répète. Un respect naturel envers lui s’instaure.

Les règles du temple sont établies aussi de manière à le dignifier: son entrée au réfectoire et à Chosan, le thé formel du matin, se fait au son du tambour. Finalement les moines ne le voient que dans les occasions pertinentes des moments de la pratique : Zazen, Oryokis et Samu. Il arrive qu’il appelle un moine au Tokusan pour un entretien. Il rencontre quotidiennement le Shusso et le Tenzo et est assisté aussi d’un moine ou d’une nonne. Alors qu’il semble inaccessible et élevé par les règles du temple, il s’avère d’une profonde simplicité et d’une grande gentillesse lorsque l’occasion se présente d’interagir avec lui.

Pour nous qui avons été éduqués dans une société égalitariste, les soixante-deux règles sont difficiles à comprendre et à accepter. Elles visent autant des comportements simples comme : « Ne regardez pas un Taiko en vous appuyant sur quelque chose avec les jambes croisées » et « Ne regardez pas un Taiko avec les bras ballants », que des attitudes d’évidence déplacées : « Ne crachez pas en face d’un Taiko ».

Au-delà des comportements et des paroles inappropriées, il s’agit essentiellement de créer une relation d’élève à enseignant : « Manifestez toujours un esprit humble » ou encore « S’il y a une discussion, vous devez rester humble et ne pas essayer de gagner une position supérieure ».

Il est aussi important de prendre soin de l’enseignant : « Observez toujours l’expression du Taiko et ne lui causez pas de déception ou de désagrément. » puis « Si une tâche difficile doit être faite là où un Taiko se trouve, faite-la vous-même. S’il y a quelque chose d’agréable, offrez-lui de le faire. »

Bien que ces règles étaient essentiellement destinées aux jeunes moines, elles créent véritablement une atmosphère harmonieuse dans la sangha et elles invitent les Taikos à prendre grand soin des membres de la communauté.

Quant à moi, lorsque je suis en présence de mon Maître Mokuho, j’ai toujours ressenti un respect spontané à son égard et souvent pensé que je devrais trouver les moments pour faire Sanpai en sa direction. Mais ne connaissant pas les règles de Maître Dogen, j’ai souvent été maladroit.

L’enseignement des Bouddhas révèle qu’il n’y a pas de frontière entre les autres et nous-mêmes. Les autres sont aussi à l’intérieur de nous et lorsque nous les élevons, nous nous élevons avec eux. Cette unité entre nous et les autres d’une part, et entre nous et notre corps-esprit d’autre part, est appelée Jijuyu Zanmai par Maître Dogen. Jijuyu Zanmai est un samadhi de joie issue de l’accomplissement de soi-même. Cet accomplissement se réalise en Zazen lorsque nous devenons intimes avec nous-mêmes, il se réalise aussi dans le temple lorsque nous devenons intimes avec les règles.

Comment devenir intime avec les règles ? Elles peuvent ne pas nous plaire et même nous choquer parfois. Pendant l’Ango où nous sommes dans les règles à chaque instant, l’égo réagit et essaye d’y échapper. Trois indications permettent de dépasser cette réaction:

Le premier pas est d’avoir confiance dans le fait que ces règles sont conçues pour nous libérer et nous conduire à l’éveil.

Le second pas est de les intégrer en s’harmonisant avec ceux qui les ont réalisées, Maître Dogen les appelle « la pure assemblée ».

Enfin, il est important de réaliser que ces règles sont comme celles d’un jeu. Ce sont des codes qui nous permettent d’interagir avec les autres et avec les objets. Au fur et à mesure, ce jeu devient inconscient et il purifie nos gestes, nos paroles puis nos pensées. Dans un jeu, chacun intègre les règles à sa façon. Ainsi, même si les règles sont uniques, elles se manifestent de façons très variées au travers de chacun de nous : l’égo et les règles s’harmonisent entre eux, comme dans une danse ou chacun prend le dessus à son tour. Dansez avec les règles !

En conclusion, même si Maître Dogen instaure des formes pour que l’enseignement se transmette, il n’oublie pas un instant l’égalité profonde de tous les membres de la Sangha lorsqu’il écrit : « Les frères et les sœurs de la famille du Bouddha devraient être plus proches les unes des autres que de leur propre moi. » ou encore en expliquant que « vous devriez savoir que temporairement nous sommes hôtes et invités, mais pendant toute notre vie, nous ne serons rien d’autre que des Bouddhas et des Ancêtres »

Contes, Legendes Dans la Transmission du Zen par Jean Marc Kukan Delom

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Contes, Legendes Dans la Transmission du Zen

Par Jean Marc Kukan Delom

Le zen est rempli d’histoires et de contes issus de sources multiples, retravaillés, racontés et polis au fil du temps.

Les contes et histoires ne parlent pas de religion ou de transcendance mais simplement de l’humain et du monde. Ils sont l’expression vivante du Dharma.

Il n’y a pas de morale, ni de vérité absolue. A leur lecture si nous en comprenons le sens, l’invisible devient visible.

Le point commun de toutes les écoles du zen est : la relation entre maître-disciple.

« Le rôle principal du maître est de transmettre les trois piliers du zen : se poser, aller au delà du mental, agir sans rien attendre (Mushotoku) ». Dans le zen, la transmission, la relation maître-disciple devient plus importante que l’étude des textes, des sutras. Nous y découvrons comment le disciple pénètre la vacuité au travers du non-sens. Le Moi du disciple s’efface, la vision change, en passant dans un premier temps d’un fonctionnement égocentrique vers une dynamique héliocentrique, puis vers une vision non duelle, enfin vers la vision du cœur. Voici trois exemples de transmission :

La Fleur du Bouddha

« Un jour, le Bouddha montra une fleur à une assemblée de mille deux cent cinquante moines et moniales. L’assemblée était parfaitement silencieuse et cherchait à comprendre. Puis, soudain, le moine du nom de Mahakashyapa se mit à sourire. Le bouddha lui rendit son sourire et dit : « Ce trésor de perspicacité, je l’ai transmis à Mahakashyapa ».

Pourquoi Mahakashyapa sourit ?

Peut-être manifeste-t-il simplement sa joie et le bonheur. Le bonheur et la joie sont l’expression vivante de la réalisation.Mais le Boudhha connaît aussi la limite des mots. Il possède l’omniscience dans cette omniprésence. En effet comme les sens perçoivent des objets et construisent des idées, le mental conçoit des pensées. On construit et manipule des idées, Mais en soi, ce ne sont que des idées qui entrainent une activité que l’on appelle le Karma. La réalité ne peut pas s’exprimer dès lors que l’on pense la réalité, dès lors que l’on dit la réalité, mais elle doit passer par une expérience directe.

Cette première transmission nous invite aussi à ouvrir notre cœur. A réapprendre à voir, voir et contempler une fleur, un arbre, une pierre et cet autre dans ses ressemblances et ses différences. Et ainsi entre attachement aux plaisirs des sens et renoncement aux plaisirs des sens, retrouver cette Connaissance. Connaissance, qui est comme la naissance.

Se retourner intérieurement, comme l’enfant se retourne à l’intérieur du ventre de sa mère, et renaître dans l’instant à nouveau à cette existence dans cet équilibre qui conduit à la sagesse.

En revenant dans cette simplicité d’être dans l’instant, dans cette simple présence consciente, en vivant dans l’hyper-présence et dans la spontanéité d’un enfant, Mahakashyapa reçut, d’un sourire la transmission du Dharma.

Le premier Eveil de Taiso Eka 2nd patriarche du Chan zen (Hueke)

Taiso Eka suivant les instructions du moine indien Boddhidharma, premier patriarche du zen en Chine, fit zazen longtemps à côté de lui, il lui demanda:

Maître mon esprit ne trouve toujours pas le repos.

Montre-le moi, répondit Bodhidhama et je le purifierais!

Je ne peux le saisir…

Boddhidharma s’écria:

Alors, je l’ai purifié !

Et le disciple connut son premier Eveil. Dans le zen, Le Dokusan est le terme qui caractérise cet échange. Doku : aller seul – San : vers celui qui va parfaire notre enseignement.

Ainsi il se met en place un dialogue permanent par des échanges verbaux ou des tâches à accomplir, censés faire progresser le disciple sur la voie (oshie), vers l’éveil (satori).

Le zen insiste sur une confrontation régulière et constante.

Le Dokusan n’est pas qu’une rencontre une fois par an. C’est l’expression d’une démarche commune qui s’accomplit au fil du temps, dans une relation intime dont le but est de sortir l’esprit de sa somnolence, de ses habitudes, de ses conditionnements.

Dans ce court échange, Bodhidharma ne répond pas à la question de Taiso Eka avec une parole descriptive, constative, ou prescriptive en disant ce qu’il faut faire ou ne pas faire. La parole est dite performative, c’est à dire elle est un acte en soi. Provoquant ainsi un changement chez l’autre.

Transmission de Hyakujo – 10ème patriarche du Zen, à Obaku

Dans certaines circonstances, les situations peuvent être violentes.

« Hyakujo interrogea Obaku après sa cueillette de champignons.

Hyakujo lui demanda s’il avait vu un tigre. Se doutant que Hyakujo lançait ainsi un combat dharmique, Obaku poussa un fort feulement.

Huakujo brandit une hache comme pour frapper l’animal, mais le disciple agrippa le maitre et lui asséna un coup de poing. Hyakujo éclata de rire et le soir même annonça aux autres moines : « Il y a un tigre dans le mont Taiju. Prenez garde à lui, ce matin il m’a mordu » En prononçant ces paroles, il venait de désigner son successeur dans le dharma. »

Comme il est dit dans le Fukanzazengi : « Vous devez en conséquence abandonner une pratique fondée sur la compréhension intellectuelle courant après les mots et vous en tenant à la lettre ».

Pour les lecteurs que nous sommes, la méthodologie de cette histoire nous invite à une sorte d’expérience herméneutique, interprétative au-delà des mots. La tradition devient langage sans se laisser enfermer par celui. La tradition devient intemporelle, impersonnelle, universelle et tout simplement vivante.

Ces échanges deviennent ainsi une véritable épreuve pour le disciple. Elles tendent à démontrer sa maturité et sa compréhension du Dharma.

Le zen sōtō a gardé cela dans sa méthode de transmission au travers la cérémonie Hossenshiki qui consacre un shusso comme premier disciple ou moine du premier rang. Cette cérémonie ne confère pas un diplôme, ni n’est un degré quelconque d’ordination. Hossenshiki veut dire littéralement : « Cérémonie du combat du Dharma ». Au travers d’une série de questions-réponses et de gestes très précis, le shusso démontre certes ses connaissances mais il actualise surtout son engagement personnel au service de la communauté, de toutes les personnes. C’est l’esprit du grand frère, de la grande sœur. Il exprime sa détermination, par la parole mais surtout par son attitude corporelle dans une unité corps-esprit.

L’Hôkyo Zanmai nous aide à comprendre cette cérémonie : « Le sens ne réside pas par les mots, mais le moment décisif le fait apparaître ».

En conclusion, les histoires et contes zen racontent comment le disciple, dans ce monde visible, qui tombe sous le sens mais est non séparé, doit vivre des Retours, des Retournements et des Renoncements. Les Maitres Zen ont utilisé pour cela :

  • Des silences
  • La destruction de l’image, des croyances.
  • Des moyens de communication tels que des gestes, des cris, des paradoxes
  • Le « cas public » (kōan)
  • Le « début d’une parole » (huatou)
  • Des poésies

Comme le Bouddha, ils ont enseigné avec des moyens habiles ou plutôt ils ont été habiles dans les moyens. Dépassant toute notion de séparation, cette transmission n’a pu avoir lieu sans la bienveillance, tout simplement dans l’amour du un.

La Transmission Pour et Selon Dôgen par Jean Zanetsu Zuber

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La Transmission Pour et Selon Dôgen

par Jean Zanetsu Zuber

A la fin de ce camp de juillet, il y aura des ordinations de nonne et de bodhisattva. Durant cette cérémonie, le maître transmet l’enseignement du Bouddha, et il remet plusieurs choses qui symbolisent et matérialisent cette transmission : les préceptes, un nouveau nom, le ketsumyaku, un acte qui certifie leur lien de sang dans le Dharma avec le Bouddha à travers le maître qui les ordonne, et un rakusu. Moines et nonnes reçoivent en plus un bol et un kesa.

J’aimerais m’arrêter sur la transmission, telle que Dôgen la présente dans le Shôbôgenzô, au chapitre Menjû.

La transmission, coeur de notre pratique.

L’événement, à la fois dans le temps et au-delà du temps, qui est le fondement et le cœur de notre pratique, c’est l’Eveil du Bouddha et la transmission de cet Eveil dans le but de sauver les êtres, de « faire passer la multitude des êtres sur l’autre rive ». Le Bouddha transmet le Dharma, la Loi, qui est en fait le fonctionnement naturel de l’Univers : un Univers interdépendant, impermanent, et donc non-soi, vacuité.

Cette transmission ne peut se faire que d’un Eveillé à un autre Eveillé, et elle se manifeste dans l’histoire avec l’épisode célèbre de la fleur que le Bouddha fait tourner entre ses doigts et qui ouvre « Menjû ». Ce chapitre est une méditation sur la transmission qui se donne et se reçoit (jû) à travers le visage (men), autrement dit la transmission face à face : « Assis au milieu d’un million de fidèles, l’Eveillé Shâkyamuni tritura une fleur (…) et cligna de l’Œil. A ce moment-là, l’honorable Kâçyapa lui adressa un sourire (…). L’Eveillé Shâkyamuni dit alors : « J’ai en moi la Vraie Loi, Trésor de l’Œil – le cœur sublime du Nirvâna. Je les transmets à Kâçyapa ».

Pour Dôgen, cet événement est « le principe de la Voie selon lequel la vraie Loi, Trésor de l’Œil fut transmise face à face d’un éveillé à un éveillé, d’un patriarche à un patriarche, de génération en génération. » L’Œil de l’Eveillé, c’est la vraie vision des choses, au-delà de nos illusions et de notre vision dualiste, c’est la vision de l’Eveillé, qui est au-delà de notre œil de chair.

Dôgen relève que cette transmission s’est faite sans interruption depuis les sept éveillés du passé (Shâkyamuni et les six Bouddhas qui le précèdent) jusqu’à son maître Tendô Nyojo, et que cette transmission n’est autre que la « réalisation comme présence de la porte de Loi transmise de face à face d’un éveillé, d’un patriarche à un patriarche ».

Dôgen et Nyojo

La transmission reçue de maître Nyojo fut pour Dôgen un événement essentiel : « D’abord, j’offris de l’encens et me prosternai cérémonieusement devant mon défunt maître, le vieux Bouddha Tendô [càd Nyojo] dans son appartement privé (…). Lui aussi me voyait pour la première fois. Alors, il me transmit le Dharma face à face, nos doigts se touchant, et me dit : « La porte du Dharma de la transmission face à face, de Bouddha à Bouddha, de Patriarche à Patriarche, est à l’instant réalisée. » A ses yeux, cette transmission est l’équivalent de la fleur transmise à Kâçyapa, à la transmission de Bodhidharma à Eka, le 2e patriarche chinois, et à la transmission du cinquième patriarche chinois à Enô.

Le chapitre se termine d’ailleurs sur ce même épisode, ce qui souligne encore l’importance de l’événement. Dôgen déclare : « J’ai été capable d’accomplir la transmission face à face en abandonnant le corps et l’esprit, et cette transmission je l’ai établie au Japon. »

Ce que Nyojo transmet à son disciple et ce que Dôgen va ramener dans son pays, c’est donc shinjin datsuraku, abandonner le corps et l’esprit et retrouver ainsi notre Visage originel. Vivre cette expérience signifie faire personnellement l’expérience que le Bouddha a connue sous l’arbre de la Bodhi lors de son Eveil. Pour réaliser cela, la seule pratique est donc celle transmise par le Bouddha : shikantaza, être assis (za) sans rien (shikan) faire (ta), sans chercher à atteindre quoi que ce soit (surtout pas l’Eveil), sans triturer un problème dans sa tête (par exemple les kôan de l’école Rinzai). Ce zen que Nyojo a reçu et qu’il transmet face à face à Dôgen, c’est l’Eveil silencieux du Bouddha Shâkyamuni, expérience essentielle qui fonde le bouddhisme. Cette expérience est celle de l’unité du corps et de l’esprit qui ne sont plus deux –matière et esprit– mais unité réalisée dans le samadhi, dans la concentration. Alors, notre véritable nature apparaît, ce qu’on appelle notre Visage originel ou Nature de Bouddha.

En même temps, ce zazen ne peut pas être un zazen individuel, centré sur l’attachement à notre Eveil. Nyojo souligne que si c’était le cas, il manquerait la grande compassion des Bouddhas et des Patriarches qui ne pratiquent zazen que pour sauver les êtres sensibles. Et il ajoute : « Lorsque Bouddhas et Patriarches s’assoient en zazen, ils forment dès le premier jour le vœu d’unifier l’univers entier. Aucun être sensible ne peut de ce fait être oublié ni abandonné. Leur esprit de compassion s’étend jusqu’aux insectes et les mérites de leur zazen sont offerts spontanément et inconsciemment pour leur salut. »

Dôgen part donc de cet élément essentiel : « (…) à chaque génération, les Patriarches authentiques ont continué la transmission face à face, le disciple regardant le maître dans les yeux et le maître regardant le disciple dans les yeux. Un Patriarche, un enseignant ou un disciple ne peuvent devenir un Bouddha ou un Patriarche s’ils n’ont reçu cette transmission face à face. »

La transmission est ainsi un donner ET un recevoir à travers le visage et les yeux, idée qui est comprise dans le mot jû de jûmen. Jû, c’est à la fois donner et recevoir, et dans ce cas, cela se fait à travers le visage (men) et les yeux, car dans la transmission de maître à disciple, « chacun d’eux [offre] la face à son autre, seulement face à face, et chacun reçoit la face de l’autre ». Cela explique l’importance que les maîtres accordent à l’échange de regard lors de la cérémonie de transmission, ou encore dans la salutation en gasshô. C’est là la transmission silencieuse, celle-là même de Bouddha tournant la fleur, transmission de cœur à cœur (i shin den shin), au-delà des Ecritures, et sans intermédiaire, transmission qui se matérialise encore à travers les paï entre le maître et le disciple lors de l’ordination.

Mais cette transmission reste fondamentalement une : « [Cette transmission,] c’est comme verser de l’eau dans l’océan et en accroître sans fin l’étendue. C’est comme transmettre la lampe et lui permettre de briller à jamais. Dans les milliers de millions de transmissions, le tronc et les branches ne font qu’un. »

Et Dôgen conclut : « Dorénavant, la grande Voie des Bouddhas-Patriarches consiste seulement à donner et à recevoir face à face, à recevoir et à donner face à face; il n’y a rien de trop et rien ne manque. Vous devez le comprendre avec foi et joyeusement, lorsque votre propre face rencontre quelqu’un qui a reçu la transmission face à face. »

Et cette transmission se poursuit jusqu’à aujourd’hui :

« Le sourire qui éclaire le visage de Mahâkâçyapa ne cesse pas » •

Tosho-ji : Une vie monastique pour les nonnes et moines étrangers – Par Sebastian Volz

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Tosho-ji : Une vie monastique pour les nonnes et moines étrangers

~ Par Sebastian Volz

La chance unique de Tosho-ji : une vie monastique pour les nonnes et moines étrangers.

Les prêtres Shinto avaient depuis longtemps vu, dans le  creux de ce cirque de collines à la végétation  luxuriante, un lieu protégé des typhons, calme et propice à la rencontre avec les esprits. Au Japon du 8ème siècle, l’endroit fut naturellement choisi pour abriter le premier temple bouddhiste  nippon, qui traversa toutes les époques, appartenant successivement au bouddhisme Shingon et dès le 17ème siècle, à l’École de Dogen et de Keizan.

Son rayonnement était immense avec ses 1200 temples affiliés et la protection des grands clans Mori et Tokugawa, pourtant ennemis par ailleurs. Il abrita le grand moine poète Ryokan et plus récemment, son abbé fut le compositeur le plus  prolifique de poèmes chantés de Baika, l’art musical de notre École.

Il y a une quinzaine d’années environ, le temple de Tosho-ji, tombé dans l’abandon, fut repris en main par Suzuki Roshi avec  l’aide des temples affiliés pour en faire un Sodo, un lieu d’entrainement pour les moines. L’expérience américaine et australienne du Roshi ramena des moines et des nonnes de nombreux horizons, et depuis quelques années, un nombre conséquent de français de la grande sangha de Maître Deshimaru.

Le temple est donc aujourd’hui animé par une sangha mixte japonaiseet  internationale, plutôt d’âge mûr, qui suit une vie monastique adaptée à sa maturité ainsi qu’à la diversité des origines. Plusieurs anciens disciples de Maître Deshimaru y ont fait leur Ango,  plusieurs nonnes et moines étrangers, y compris de notre Sangha, y ont passé une année ou bien plus.

En quoi consiste cette vie monastique ? Ensemble d’un seul corps-esprit, réaliser Shikantaza, chanter et faire sonner les instruments, offrir notre respect, manger, travailler, étudier, se laver et se reposer. Par le rythme collectif et régulier de cette opération naît et vit ce que Maître Dôgen appelait « la pure assemblée ».

Un ango à Tosho-ji – Sebastian Volz

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Un ango à Tosho-ji

Le retour d’expérience de Sebastian Voltz

Trois mois de vie monastique se résument à une seule journée. Réveillé au tambour, un long zazen démarre la journée, suivi d’une cérémonie, des Oryokis, du ménage, du thé, du Samu,du   déjeuner, de la sieste, d’un autre Samu, d’un autre thé, d’un repos, du dîner, du bain et d’un zazen avant de se coucher.

Bien sûr, les tâches et les responsabilités varient, les saisons et la sangha se  transforment, de nouveaux évènements et cérémonies ponctuent les mois. Mais chaque jour, par le rythme et les actions faites ensemble, notre attention se maintient du lever au coucher, le mental calmé par la fluidité d’une journée où il n’y a plus à choisir. De jour en jour, la pureté invisible de notre vie quotidienne transforme silencieusement notre corps et notre esprit.

Nos « personnes » se rebellent, des pensées négatives jaillissent – ennui, plaintes, lassitude, critiques des autres et du « système » -, le corps s’accommode parfois avec difficulté à la pratique, les voix montent de temps en temps, un conflit peut surgir. Le plus souvent, ces maux sont emportés par le flot continu et puissant du rythme des journées.

Je suis arrivé dans le dernier tiers de  l’Ango de printemps puis suis resté pendant l’été pour compléter la période officielle des trois mois. La période de l’Ango est intense, avec la présence d’une vingtaine d’Angoshas ainsi que celle des visiteurs occasionnels. A l’issue de l’Ango, le rythme se détend quoique les activités restent identiques. Arrivent alors les mois de Juillet et d’Août avec la chaleur humide et les typhons. Typhon  exceptionnel cette année, le fleuve déborde et nous voilà avec pelle et brouette à déblayer un temple affilié.

Le mois d’Août est aussi le grand moment d’Obon, les cérémonies pour les esprits défunts. Jean-Marc Genzo et moi-même avons pu ainsi aider à l’organisation et assister à plusieurs cérémonies dans les temples. Nous avons circulé aussi de maison en maison, au milieu des rizières en pleine montagne ou bien dans le fond des vallées, pour chanter le Daishu et le Kanromon face à l’autel des ancêtres.

Trois mois, jamais je n’avais « coupé » aussi longtemps de la vie mondaine. Une fois rentré, les accueils varient entre la curiosité et la surprise face au corps aminci, au visage au sourire clair. Par la répétition, ces trois mois se résument finalement à une seule journée, et cette journée s’est évanouie dans le fil de l’attention continue. Il ne reste maintenant que quelques rêves, aux couleurs vives de la réalité, et la vie à Tokyo continue comme si presque rien n’avait changé.

Un ango à Tosho-ji – Jean-Marc Delom

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Un ango à Tosho-ji

Le retour d’expérience de Jean-Marc Delom

C’est par une chaleur étouffante que j’ai commencé cet Ango pour vivre ce qui m’apparaissait être une expérience. Dans la petite pièce à l’écart de tous je me remémorais les raisons qui m’avaient  amené dans ce temple. Un mélange d’angoisse, de doute, mais aussi de fierté d’avoir dépassé mes peurs de l’inconnu. Le sentiment d’être à ma place m’envahissait. Quitter sa famille, son travail,  ses habitudes, son confort pour trois mois, avait provoqué dans mon entourage un mélange d’incompréhension et de questionnement. Quant à moi je ne suivais qu’une seule chose … mon  intuition !

Je suis sorti rapidement du Tankario (période d’isolement), et après une cérémonie d’entrée dans le sodo (salle de méditation), de présentation au Roshi et aux Tokudo (moines et nonnes), les  activités journalières se sont vite mises en place : lever 4h, zazen, cérémonie, samu, thé et enseignement, samu, cérémonie, repas, repos, samu, repos, cérémonie, repas, douche, zazen, coucher 21h. La pratique continue s’installait, le temps n’avait plus d’emprise, seuls les sons dans le monastère rythmaient les journées. L’impression que j’étais là depuis des mois était présente en moi comme chez les autres.

Nous vivions ensemble dans un espace restreint. Nous dormions dans le sodo mais dans ce dépouillement total ou rien ne nous appartenait vraiment, sauf une valise et nos affaires de pratique ; j’avais l’impression d’avoir l’essentiel et tout à la fois. Un simple café accompagné d’un gâteau créait en moi un bonheur subtil et total. Cet espace était aussi un lieu de rencontre de nos egos, de se voir dans le miroir du regard des autres. Le rythme intense des journées, la fatigue exacerbaient les frictions, les tensions… Mais la pratique continue reprenait sa place et tout redevenait lisse, fluide et doux.

Cet Ango m’a permis aussi de mieux connaître et de tisser des liens forts avec Sebastian Mokusen. Nos activités en commun, les cérémonies, nos longues discussions, nos petites balades avant le  zazen du soir ont été autant de moments de partage et d’échange. L’Ango est un moment où nous pouvons aller en profondeur dans le fonctionnement et la construction du « moi » au travers de  cet « autre », par l’observation des différences, des ressemblances et dans tout ce qu’il a de profondément humain :  la conscience, les émotions, la parole qui fait sens et l’intelligence créatrice comme moyen de transformation et de changement.

Les cérémonies d’Obon furent non seulement l’occasion d’aller à la rencontre de la population et d’en comprendre le sens, mais aussi d’apprendre à vivre l’instant présent dans sa simplicité et son authenticité. Sans avoir trop répété, nous devions officier par l’ observation et la simple attention continue. L’erreur n’avait pas d’importance, seule l’harmonie entre nous comptait.

Vivre l’Ango  dépasse la notion de vivre une expérience. Après le départ de Sébastian Mokusen j’ai rencontré le « Silence » lors d’une sesshin puis en raison de ma difficulté à communiquer en anglais. Cette rencontre m’a amené peu à peu à réaliser « corporellement » et non mentalement l’illusion de mes connaissances passées et de mes certitudes du moment. Dans cette solitude et en voyant le reflet des choses, la vie apparaissait simplement maintenant.

En arrivant à Tosho ji j’ai eu l’impression d’y avoir déjà vécu. Le jour de mon départ j’avais l’impression d’y avoir toujours vécu.

Trois mois se résument en fait en un instant.

Un instant de silence dans cette « demeure paisible » !

Un ango à Tosho-ji – Javier

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Un ango à Tosho-ji

Le retour d’expérience de Javier

« Dans le champ, il ne restait plus que le chaume. Puis ils l’ont intégralement brulé… et maintenant, de nouvelles pousses vertes apparaissent ici et là. C’est l’opportunité de voir ce qui ressurgit de la cendre… »

~JMR Kôzan

Du point de vue subjectif, l’effet de cet ango de trois mois a eu un effet dévastateur sur le sens de mon « moi », mes préférences et mes résistances. Je me suis senti dépossédé de toute volonté de me différencier des autres, même dans les gestes personnels les plus simples et les plus basiques. Pendant ces 85 jours dans le temple, tout est organisé pour s’oublier soi-même. Peu  importait « qui » coupait le bambou pendant le samu, « qui » faisait le service des repas, « qui » chantait les sutras dans le Hato, ou « qui » méditait, assis dans le sodo. Il n’y avait que l’évidence d’être présent  à tout moment et le mot clé était une totale disponibilité.

Je n’étais plus que l’observateur de la vie qui se déroulait à travers mon corps physique. Il n’y avait pas de temps pour davantage, ou tout simplement « c’était ce que c’était ». Sans aucun doute, ce fût une des expériences de pratique les plus intenses et profondes de ma vie. Tout s’est rempli d’intensité, de ferveur et aussi de dévotion : le rituel des cérémonies, les sutras du matin, de la mi-journée et de l’après-midi, la cérémonie de repentir, tous les quinze jours, le bain quotidien…

Toutes les occasions ont été des opportunités uniques de faire vivre l’esprit d’éveil Bodhicitta, avec une énergie intérieure, ou dans la dévotion, dans l’abandon et souvent dans une remise en question personnelle continuelle…

En quittant le temple et en revenant chez moi, j’ai eu l’impression d’avoir vécu un rêve.

Ou peut‑être est-ce juste le contraire : le rêve est ce que je vis maintenant ?

Un ango à Tosho-ji – Pere

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Un ango à Tosho-ji

Le retour d’expérience de Pere

Chers amis de Tenborin, Si je dois résumer l’expérience de mon Ango au Japon, je dirais que cela a été une expérience intense, enrichissante, profonde, et aussi un peu difficile. Six mois après mon retour, je suis encore en train de digérer.

Deux points m’ont percuté, le premier concerne la présence, l’attitude compatissante et le savoirfaire de l’abbé du monastère, Docho Roshi. Je m’en souviens souvent, c’est une référence pour moi, il est désormais dans mon cœur. Le deuxième, la rigueur, le respect et la profondeur des quatre premières heures de pratique du matin au sodo (zazen, kinhin, genmmai) et au Hato (cérémonies). Pour l’exprimer d’une manière énergique, il me faut bien le dire : « tout était parfait »

Les responsabilités à la fois dans le Sodo et le Hato sont complexes, riches en détails, longues. Elles se déroulent souvent sur une bonne partie de la journée. C’est la pratique continue de  l’attention pleine. Au début, c’était bien difficile pour moi, mais peu à peu j’ai intégré les rythmes, les formes jusqu’au point de bien me sentir avec. Il faut dire que lorsque vous commencez à vous sentir à l’aise avec certains rituels, c’est le moment d’en changer, le moment de faire autre chose est venu. Il n’y a pas de zone de confort. Maintenant, avec la distance, je réalise à quel point tout  cela a été important pour centrer, enraciner ma pratique et déployer les compréhensions, les acceptations et la gratitude qui en découlent.

Finalement, je voudrais exprimer la forte expérience qu’a signifié « laisser tout tomber pendant trois mois » : famille, nom de famille, amis, stimuli de la vie moderne, opinions personnelles, vêtements civils, cheveux, les saveurs sans graisse, sans sucre, avec peu de sel… Il n’y a pas de place pour s’identifier à l’ego. J’ai ressenti une profonde fragilité émotionnelle. Je n’avais rien auquel m’appuyer si ce n’est à la pratique ou à moi-même. Je ne le vois peut-être encore très clairement, mais je ressens en moi un nouvel espace de patience et d’humilité•

Karma et liberté – Florian Demont

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Karma et liberté

Enseignement – ressource

Par Florian Demont

L e karma. Ce terme est souvent vu comme synonyme de destin ou de déterminisme. Le karma donc serait un résultat et nous sommes condamnés à en faire l’expérience. On peut trouver quelque  part la même chose (même si c’est de façon beaucoup plus sophistiquée dans la culture védique, les Upanishads et aussi dans la culture occidentale ; en particulier dans le matérialisme scientifique  selon lequel nous sommes véritablement condamnés à faire l’expérience du jeu mécanique des causes et des effets comme décrits dans les meilleures théories – et d’après ces théories  il n’y a aucune autre expérience possible.

Néanmoins, si on voit le karma comme un résultat, ceci ne saurait être forcément dû à une théorie particulière à laquelle nous adhérons. Du point de vue bouddhiste, il y a des raisons  sychologiques à la fatalité. Si nous nous sentons isolés, incompris ou humiliés, alors nous sommes pris en otage par ce dont nous faisons l’expérience. Si nous nous voyons comme des victimes des circonstances, de notre passé, de notre personnalité, ou des autres, alors nous nous sentons vraiment condamnés à faire l’expérience de ce que nous expérimentons. Un tel point de vue fataliste est à l’origine d’une vie empêtrée dans la souffrance.

Les enseignements même du bouddha sur le karma visent à nous montrer une manière de sortir de la souffrance : en brisant le sortilège de la fatalité. Pour ce faire, il se concentre sur le sens du  mot karman : action. Ainsi pour les bouddhistes, le karma est beaucoup plus en lien avec les actions qu’avec les résultats. Comment cela fonctionne t-il ? D’abord nous devons comprendre la  puissance des actions de notre mental, de nos paroles et de notre corps. En jugeant comme nous jugeons, en disant ce que nous disons, en faisant ce que nous faisons, nous sommes  continuellement en train de façonner notre réalité. Si nous réduisons nos actions aux mêmes vieux schémas que nous avons toujours suivis, notre réalité ne sera qu’une répétition stupide et  ennuyeuse ce qu’elle a toujours été – récurrence éternelle de la pire sorte. Mais si nous ouvrons notre esprit, si nous considérons nos différentes options, et si alors nous façonnons attentivement  nos actions, la réalité sera riche et satisfaisante. Vraiment, cela doit être car c’est la loi du karma. Les résultats seront toujours inévitables, mais pour les esprits calmes et sages, les actions sont complètement souples, et c’est ce qui fait la différence.

Aussi, la façon dont les bouddhistes comprennent le karma nous fait réaliser que nous ne sommes ni otages ni victimes. Car se considérer comme tels, est au cœur même des pièges générés par la  souffrance et c’est aussi au centre des perceptions erronées que les bouddhistes appellent l’ignorance. Comprendre le grand potentiel des actions de notre mental, de nos paroles et de notre corps permet de voir la réalité telle qu’elle est : une souplesse interdépendante.

Il existe de nombreuses variétés de bouddhisme, mais toutes cherchent à corriger notre perception et à nous donner un accès direct au réel. Toutes enseignent la discipline éthique, peuvent y  ajouter l’amour et la compassion ; certaines enseignent par le corps, d’autres utilisent les visualisations et les mantras. Mais toutes attribuent l’accès total et direct à la réalité aux esprits sereins, clairs et éveillés, pour lesquels la souffrance est tout au plus un souvenir lointain du passé. Toutes ces méthodes nous apprennent à nous concentrer sur nos intentions, sur la volonté derrière nos actions. Nous apprenons à identifier nos intentions derrière nos jugements, ce que nous voulons atteindre par nos actes de langage et tous nos petits désirs, nos mobiles et nos besoins derrière les actions de notre corps. Plus nous voyons clairement le fonctionnement de nos intentions, plus nous pouvons influencer nos actions. Ceci est un point très important, et nous pouvons l’observer  clairement pendant zazen : intentions, volontés, mobiles et besoins apparaissent et exigent l’action, mais nous ne bougeons pas.

Ainsi la liberté dans le bouddhisme se résume ainsi : nous ne devons pas systématiquement faire ce que nous avons la volonté de faire. Et de réaliser cela nous donne assez de marge pour influer sur nos actions. Cette influence sur l’action, à son tour, nous permet de façonner la réalité en conscience. Et c’est ainsi au final que nous aurons la capacité d’abandonner toute souffrance.

Remarquez à quel point ceci est différent de la conception occidentale du libre arbitre. Tous les théologiens, philosophes et scientifiques qui s’intéressent au libre arbitre ont toujours été  pleinement conscients du fatalisme et des façons de penser le monde qu’il induit. Ils se sentent menacés par ces façons de penser car ils les trouvent soit inévitables, soit hautement probables ou simplement extrêmement répandues. Mais au lieu de déplacer l’objectif de leur recherche sur le moment présent, où il devient clair que nous ne sommes ni des victimes ni des otages condamnés à faire l’expérience de ce que nous expérimentons, ils ont essayé de se raisonner pour sortir du problème. Ils ont cherché à combattre le fatalisme par la pensée conceptuelle. Plus particulièrement, ils se sont efforcés de trouver quelle sorte de contrôle conscient nous avons sur nous-mêmes et le monde. Ils ont voulu découvrir s’il était possible de comprendre les phénomènes et de leur donner  une direction différente.

En regardant les gens dans la rue, dans les transports, au travail, à la maison ou ailleurs, en observant leur regard, la couleur de leur peau et leur attitude, nous arrivons à la conclusion que de   telles recherches sur le libre arbitre ne débouchent sur rien. Si nous sommes empêtrés dans notre souffrance, essayer de saisir un phénomène désagréable pour lui donner une direction différente  et meilleure n’est pas une stratégie viable. Ça ne marche pas. On n’obtient que davantage de frustration, d’isolement, de souffrance et on finit par trouver que nous sommes victimes ou otages des autres, des circonstances et du monde.

Le bouddhisme – sous toutes ses formes – nous offre une porte de sortie. Se concentrer sur ce que l’on fait ; Comprendre qu’il n’est pas toujours nécessaire de faire ce que l’on veut faire. Explorer  les interdépendances auxquelles nous sommes confrontés ; explorer leur souplesse ; et le plus important : se détendre et ne pas prendre les choses trop au sérieux. Laisser tomber et faire taire  notre petit moi cynique. Après tout, toute cette souffrance n’est quele jeu illusoire de nos perceptions perverties.

En fait, nous et l’univers allons plutôt bien, les choses changent et nous pouvons façonner la réalité aussi librement que nous l’entendons. Cela est entre nos mains

 

Fugen Bosatsu - Samantabhadra Bodhisattva.

Sutra et cérémonie du repentir

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Par Lana Hōsei Berrington (traduit de l’anglais)

Dans le zen on chante parfois le verset du repentir :

Ga shaku sho zo sho aku go
Kai yu mu shi ton jin chi
Ju shin ku i shi sho sho
Issai ga kon kai san ge

En voici la signification :

Fugen Bosatsu - Samantabhadra Bodhisattva.

Fugen Bosatsu – Samantabhadra Bodhisattva.

Tous mes karmas passés toxiques ou néfastes (ou mes anciens karmas qui se sont enchevêtrés), nés du désir sans commencement, de la haine et de l’illusion, à travers les actions de mon corps, de mes paroles, et de mon esprit : je les admets aujourd’hui.

Voilà le verset du repentir que nous chantons de temps en temps dans notre pratique du zen. Il nous vient du Bodhisattva Samantabhadra dont le nom signifie Vertu Universelle ou Bonté  Universelle. Il faut dire qu’on ne parle pas souvent de lui.

Tandis que le Bodhisattva Manjusri (Monju Bosatsu) illustre la sagesse, le Bodhisattva Avelokitshevara (Kannon ou Kan ji Zai bosatsu) la compassion, Samantabhadra (Fugen Bosatsu) incarne la sagesse en action. Il enseigne qu’il ne peut y avoir de sagesse si celle-ci ne bénéficie pas aux êtres – la sagesse doit être appliquée dans la vie quotidienne. Aussi Fugen Bosatsu symbolise la pratique. J’aime à penser à Samantabhadra comme au Bodhisattva qui est simplement présent, une personne aimante, près de nous.

Peut-être n’entendons-nous pas trop parler de lui car l’une des particularités de la pratique de Samantabhadra est « de faire le bien discrètement ». On le mentionne dans le sutra du Lotus, dans le sutra de l’Avatamsaka (la guirlande de fleurs) dans le sutra des repas, car il a beaucoup influencé notre cérémonie. Samantabhadra est réputé pour ses dix voeux, dont il est question dans le dernier chapitre du sutra de la guirlande de fleurs. Et le quatrième voeu est celui du repentir : « Depuis la nuit des temps, j’ai agi avec maladresse dans la haine, l’ignorance et l’envie, par les  actions de mon corps, de mes paroles, de mon esprit. Déterminé à recommencer du début, je me repens. » C’est facile de voir comment à partir de ce voeu nous en arrivons au verset du repentir : les mots sont quasiment les mêmes.

Et aujourd’hui dans ce teisho, je voudrais parler du verset et de la cérémonie du repentir.

Le mot repentir véhicule certaines images, comme par exemple des gens prêchant dans la rue hurlant « repenstoi pécheur ! » ou la confession des catholiques et le prêtre auquel il faut confesser ses péchés pour en obtenir l’absolution.

Mais dans le bouddhisme, il n’existe pas cette idée chrétienne de « péché ».

Dans le christianisme, le péché est un acte immoral, une transgression contre la loi divine plutôt qu’une infraction à une loi naturelle. Les chrétiens le vivent comme quelque chose de honteux, de négatif qui génère la culpabilité. De plus, l’idée de péché est en lien avec une « pouvoir extérieur », celui de Dieu, du  Christ, ou d’un saint qui facilitera le pardon et la rédemption.

Dans le bouddhisme, ce pouvoir de redemption est appelé tariki. Il est présent dans certaines écoles bouddhistes, notamment celle de la Terre Pure. Le contraire de tariki est joriki, ou « pouvoir personnel ». On rencontre cette notion dans le zen.

Le « péché » chrétien qui induit honte et culpabilité, nous incite aussi à rester ancrés dans le passé, à consolider une histoire totalement inventée mettant en avant nos aspects les plus mauvais : «  Mon dieu ! je suis si horrible, je dois être puni » ; ceci est une attitude très egocentrique, qui fait du petit moi le moteur de toute situation. La culpabilité et la honte en nous rendant incapables de  nous concentrer sur le présent ne cherchent pas à nous faire aller de l‘avant et à lâcher prise.

Dans le bouddhisme, le repentir n’a rien à voir avec la culpabilité et la honte. Il s’agit simplement de reconnaître et de voir clairement le rôle que nous jouons dans le monde. Nous pouvons  exprimer nos regrets par rapport aux souffrances que nous avons causées ; nous pouvons nous excuser si c’est approprié ; nous pouvons prendre nos responsabilités ; puis aller de l’avant. En voulant reconnaître et admettre ce que nous avons fait, nous pouvons nous tourner vers le présent et nous confronter à ce qui est ici et maintenant. Reconnaître est un mot magnifique ; j’ai vérifié les origines du mot anglais et découvert qu’il venait du vieux français recognoistre, qui signifie re-penser, rappeler à l’esprit, connaître à nouveau.

Ainsi, il peut y avoir une véritable éclosion de la sagesse dans la reconnaissance de nos mauvaises actions. Dans le bouddhisme, quelles que soient les conséquences de nos actions, bénéfiques ou  non, bonnes ou mauvaises, elles nous appartiennent. Et l’une de nos tâches est de le reconnaître. C’est le sens du mot anglais AVOW (avouer) ; j’avoue maintenant pleinement signifie que je  reconnais, que je regarde avec les yeux ouverts. Penser à nouveau, à partir de l’avant, lâcher prise et se tourner vers le présent.

Lorsque nous pratiquons les rituels et que nous chantons le verset du repentir, nous ne demandons pas à quelqu’un de nous pardonner pour ce que nous avons fait ; ce n’est pas « bénis-moi mon père car j’ai péché », ce qui serait l’ « autre pouvoir ». C’est important de ne comprendre cela, car au final il n’y a pas de différence entre nous, la personne à qui nous pourrions demander pardon pour le tort que nous avons causé, et les actions que nous avons commises.

En allant de l’avant, un élément du repentir nous encourage à ne pas créer de nouvelles conséquences néfastes. Se  repentir ne veut pas dire que l’on peut continuer à faire le mal. Ce n’est pas parce que l’on peut se remettre d’une jambe cassée que l’on doit forcément se la casser de nouveau.

Guy parle souvent de donner et recevoir ; celui qui donne, celui qui reçoit et le cadeau ne sont  pas séparés, mais Un . C’est la même chose à propos du karma : Celui qui agit, celui à qui il est fait du bien ou du mal, et les conséquences ne sont pas séparées ; ils sont Un. Le vrai repentir ne peut se cantonner à « une vue partielle ou fausse », il ne peut entériner la séparation des trois et signifier que nous ne sommes pas responsables des conséquences. Dans le bouddhisme, la vue juste et la compréhension juste consiste à s’éloigner du chemin de la confusion, de l’ignorance et de la pensée illusoire. C’est le d’atteindre la sagesse et la vision juste de la réalité.

Aussi dans le zen il y a deux sortes de repentir : formel et informel. Le repentir formel, c’est s’excuser par exemple pour avoir fait du mal à quelqu’un sur un point précis. Notre verset du repentir est formel sans être spécifique.

Nous chantons le verset du repentir avant la cérémonie d’ordination, avant de recevoir les préceptes. Au début de notre cérémonie de Ryaku fusatsu (cérémonie du repentir, ou cérémonie de purification), nous ré-affirmons notre engagement dans les préceptes. Ryaku signifie bref ou simple et fusatsu signifie continuer la bonne pratique et arrêter les actions nocives. Cette cérémonie que nous avons faite plusieurs fois à Lanau est plus courte que celles qui sont faites chaque mois dans les temples au Japon. Mais même abrégée elle maintient vivante la bonne pratique qui vise à soutenir la pratique de sagesse de Samantabhadra.

Cette cérémonie est semblable à celle du Theravada et à celle d’autres écoles de bouddhisme, où traditionnellement, les moines/nonnes de la sangha se rassemblent deux fois par mois (pour la pleine et la nouvelle lune) et avouent publiquement toutes leurs transgressions aux règles de Pratimoksa du Vinaya (le code de conduite des moines et nonnes) qu’ils ont commises au cours des quinze derniers jours (227 possibilités de transgression pour les hommes et 311 pour les femmes). Chaque règle enfreinte donne lieu à une sanction déterminée, qui va de présenter des excuses à être exclu de la sangha. Mais ne vous inquiétez pas, dans le zen nous ne faisons pas cela, nous ne nous confessons pas ni ne nous repentons de nos actes face à la communauté ou à une quelconque tierce personne. Il n’y a pas non plus de code de sanctions établi. Notre repentir est beaucoup plus large et inclusif. Il est non spécifique et nous reconnaissons toutes les actions néfastes commises  par notre corps, notre esprit et nos paroles depuis le début des temps. Reconnaître et regretter nos actions mauvaises est intériorisé, et éveille notre propre esprit de compassion.

Nous chantons ce verset avant de faire quelque chose d’important : c’est comme aller de l’avant et faire table rase, comme laver un vêtement avant de le teindre. C’est ce que nous appelons repentir  formel. Nous pratiquons dans le zen le repentir ‘’sans forme’’.

C’est le repentir dans le royaume ultime. Absolu, au-delà de toute idée de bien et de mal, de bénéfique ou de nocif, d’aider ou du faire du mal, c’est lâcher prise totalement. Et zazen, c’est  exactement le repentir ‘’sans forme’’. Daikan Eno, (Huineng) le 6ème patriarche, a beaucoup parlé du repentir ‘’sans forme’’ dans le Sutra de l’Estrade. Il dit que le repentir ‘’sans forme’’ annihilera toutes les fautes du passé, du présent et du futur, et nous donnera la possibilité d’atteindre la pureté de pensée, de parole et d’action car le repentir sans forme a lieu à chaque instant.

Maître Eno écrit : « Depuis le moment précédant la pensée, le moment présent de la pensée et le moment suivant la pensée, d’un moment de pensée à un autre moment de pensée, je ne serai pas  affecté par la sottise ou l’illusion, le mensonge ou la vanité, la jalousie ou l’envie, ou tout autre faute qui en découle. Qu’ils disparaissent immédiatement et ne reviennent jamais. »

Le repentir ‘’sans forme’’ manifeste notre vraie nature en ce moment même.

Dans la réalité de notre vie, dans ce monde relatif où nous vivons, nous devons faire des choix chaque jour. C’est inévitable. Nous devons décider de ce qui est bon ou mauvais – mais en zazen nous laissons simplement passer les pensées, pas de discrimination, pas de jugement, seulement la pure Présence. Nous sommes totalement libres de toute discrimination. Le repentir, c’est ne pas  s’attacher à notre passé, et zazen c’est lâcher prise complètement. Aussi notre pratique de zazen est aussi la plus pure, et la plus complète forme de repentir.

Nous avons besoin de ces deux formes de repentir pour pouvoir aller de l’avant à chaque instant. Le repentir formel efface l’ardoise, et adoucit les conséquences des actions égotiques de notre  corps, de nos paroles et de nos pensées. Le repentir sans forme s’attache aux racines de ces actions ; le repentir formel nous prépare pour zazen ; le repentir sans forme est zazen lui-même.

Dans le sutra des 42 sections le Bouddha dit : « Si une personne a mal agi et ne s’en est pas repenti en effaçant même toute pensée de repentir, ses méfaits l’engloutiront, comme l’eau retourne à la mer et devient de plus en plus vaste et profonde. »

C’est bon de se repentir, c’est bon de reconnaître nos mauvaises actions, c’est bon de les abandonner et d’essayer de faire mieux la prochaine fois. Dans le zen, nous travaillons sur les préceptes, que nous soyons assis en zazen ou engagé dans les activités de notre vie quotidienne. Ce sur quoi nous mettons l’accent, c’est le retour à notre vraie nature d’avant toute pensée de séparation.

Dogen Zenji a écrit : « Nous devons méditer sur le repentir. C’est le sens exact de ce qu’est un bouddha réalisé. Avec le repentir nous recevrons probablement l’aide invisible des Grands Sages.  Repens-toi auprès des bouddhas avec tout ton corps et ton esprit. La puissance du repentir dissout toutes les racines du mal. Voilà la couleur unique de la vraie pratique, le vrai coeur de l’espoir, le vrai corps de l’espoir. »

Dans le sutra de Samantabhadra nous pouvons lire : « L’océan de tous les obstacles karmiques naît simplement des pensées illusoires ; si nous souhaitons nous repentir, asseyons-nous dans la posture juste et soyons conscient de la vraie réalité. Tous les méfaits se dissoudront dans le soleil de la sagesse » •