Skip to main content

Contes, Legendes Dans la Transmission du Zen

Par Jean Marc Kukan Delom

Le zen est rempli d’histoires et de contes issus de sources multiples, retravaillés, racontés et polis au fil du temps.

Les contes et histoires ne parlent pas de religion ou de transcendance mais simplement de l’humain et du monde. Ils sont l’expression vivante du Dharma.

Il n’y a pas de morale, ni de vérité absolue. A leur lecture si nous en comprenons le sens, l’invisible devient visible.

Le point commun de toutes les écoles du zen est : la relation entre maître-disciple.

« Le rôle principal du maître est de transmettre les trois piliers du zen : se poser, aller au delà du mental, agir sans rien attendre (Mushotoku) ». Dans le zen, la transmission, la relation maître-disciple devient plus importante que l’étude des textes, des sutras. Nous y découvrons comment le disciple pénètre la vacuité au travers du non-sens. Le Moi du disciple s’efface, la vision change, en passant dans un premier temps d’un fonctionnement égocentrique vers une dynamique héliocentrique, puis vers une vision non duelle, enfin vers la vision du cœur. Voici trois exemples de transmission :

La Fleur du Bouddha

« Un jour, le Bouddha montra une fleur à une assemblée de mille deux cent cinquante moines et moniales. L’assemblée était parfaitement silencieuse et cherchait à comprendre. Puis, soudain, le moine du nom de Mahakashyapa se mit à sourire. Le bouddha lui rendit son sourire et dit : « Ce trésor de perspicacité, je l’ai transmis à Mahakashyapa ».

Pourquoi Mahakashyapa sourit ?

Peut-être manifeste-t-il simplement sa joie et le bonheur. Le bonheur et la joie sont l’expression vivante de la réalisation.Mais le Boudhha connaît aussi la limite des mots. Il possède l’omniscience dans cette omniprésence. En effet comme les sens perçoivent des objets et construisent des idées, le mental conçoit des pensées. On construit et manipule des idées, Mais en soi, ce ne sont que des idées qui entrainent une activité que l’on appelle le Karma. La réalité ne peut pas s’exprimer dès lors que l’on pense la réalité, dès lors que l’on dit la réalité, mais elle doit passer par une expérience directe.

Cette première transmission nous invite aussi à ouvrir notre cœur. A réapprendre à voir, voir et contempler une fleur, un arbre, une pierre et cet autre dans ses ressemblances et ses différences. Et ainsi entre attachement aux plaisirs des sens et renoncement aux plaisirs des sens, retrouver cette Connaissance. Connaissance, qui est comme la naissance.

Se retourner intérieurement, comme l’enfant se retourne à l’intérieur du ventre de sa mère, et renaître dans l’instant à nouveau à cette existence dans cet équilibre qui conduit à la sagesse.

En revenant dans cette simplicité d’être dans l’instant, dans cette simple présence consciente, en vivant dans l’hyper-présence et dans la spontanéité d’un enfant, Mahakashyapa reçut, d’un sourire la transmission du Dharma.

Le premier Eveil de Taiso Eka 2nd patriarche du Chan zen (Hueke)

Taiso Eka suivant les instructions du moine indien Boddhidharma, premier patriarche du zen en Chine, fit zazen longtemps à côté de lui, il lui demanda:

Maître mon esprit ne trouve toujours pas le repos.

Montre-le moi, répondit Bodhidhama et je le purifierais!

Je ne peux le saisir…

Boddhidharma s’écria:

Alors, je l’ai purifié !

Et le disciple connut son premier Eveil. Dans le zen, Le Dokusan est le terme qui caractérise cet échange. Doku : aller seul – San : vers celui qui va parfaire notre enseignement.

Ainsi il se met en place un dialogue permanent par des échanges verbaux ou des tâches à accomplir, censés faire progresser le disciple sur la voie (oshie), vers l’éveil (satori).

Le zen insiste sur une confrontation régulière et constante.

Le Dokusan n’est pas qu’une rencontre une fois par an. C’est l’expression d’une démarche commune qui s’accomplit au fil du temps, dans une relation intime dont le but est de sortir l’esprit de sa somnolence, de ses habitudes, de ses conditionnements.

Dans ce court échange, Bodhidharma ne répond pas à la question de Taiso Eka avec une parole descriptive, constative, ou prescriptive en disant ce qu’il faut faire ou ne pas faire. La parole est dite performative, c’est à dire elle est un acte en soi. Provoquant ainsi un changement chez l’autre.

Transmission de Hyakujo – 10ème patriarche du Zen, à Obaku

Dans certaines circonstances, les situations peuvent être violentes.

« Hyakujo interrogea Obaku après sa cueillette de champignons.

Hyakujo lui demanda s’il avait vu un tigre. Se doutant que Hyakujo lançait ainsi un combat dharmique, Obaku poussa un fort feulement.

Huakujo brandit une hache comme pour frapper l’animal, mais le disciple agrippa le maitre et lui asséna un coup de poing. Hyakujo éclata de rire et le soir même annonça aux autres moines : « Il y a un tigre dans le mont Taiju. Prenez garde à lui, ce matin il m’a mordu » En prononçant ces paroles, il venait de désigner son successeur dans le dharma. »

Comme il est dit dans le Fukanzazengi : « Vous devez en conséquence abandonner une pratique fondée sur la compréhension intellectuelle courant après les mots et vous en tenant à la lettre ».

Pour les lecteurs que nous sommes, la méthodologie de cette histoire nous invite à une sorte d’expérience herméneutique, interprétative au-delà des mots. La tradition devient langage sans se laisser enfermer par celui. La tradition devient intemporelle, impersonnelle, universelle et tout simplement vivante.

Ces échanges deviennent ainsi une véritable épreuve pour le disciple. Elles tendent à démontrer sa maturité et sa compréhension du Dharma.

Le zen sōtō a gardé cela dans sa méthode de transmission au travers la cérémonie Hossenshiki qui consacre un shusso comme premier disciple ou moine du premier rang. Cette cérémonie ne confère pas un diplôme, ni n’est un degré quelconque d’ordination. Hossenshiki veut dire littéralement : « Cérémonie du combat du Dharma ». Au travers d’une série de questions-réponses et de gestes très précis, le shusso démontre certes ses connaissances mais il actualise surtout son engagement personnel au service de la communauté, de toutes les personnes. C’est l’esprit du grand frère, de la grande sœur. Il exprime sa détermination, par la parole mais surtout par son attitude corporelle dans une unité corps-esprit.

L’Hôkyo Zanmai nous aide à comprendre cette cérémonie : « Le sens ne réside pas par les mots, mais le moment décisif le fait apparaître ».

En conclusion, les histoires et contes zen racontent comment le disciple, dans ce monde visible, qui tombe sous le sens mais est non séparé, doit vivre des Retours, des Retournements et des Renoncements. Les Maitres Zen ont utilisé pour cela :

  • Des silences
  • La destruction de l’image, des croyances.
  • Des moyens de communication tels que des gestes, des cris, des paradoxes
  • Le « cas public » (kōan)
  • Le « début d’une parole » (huatou)
  • Des poésies

Comme le Bouddha, ils ont enseigné avec des moyens habiles ou plutôt ils ont été habiles dans les moyens. Dépassant toute notion de séparation, cette transmission n’a pu avoir lieu sans la bienveillance, tout simplement dans l’amour du un.