Kusen – de Guy Mokuho Mercier
« Sachez-le, dit Shantideva*, l’esprit d’éveil présente deux aspects : d’une part, l’aspiration à l’éveil, et d’autre part, l’engagement dans l’éveil ».
Quand nous venons nous asseoir dans le dojo, nous répondons à cette aspiration intérieure mystérieuse de l’esprit d’éveil et nous nous engageons dans l’éveil, peut-être sans même le comprendre.
« Alors, tenez le ferme, cet esprit d’éveil, car c’est votre propre trésor » continue Shantideva.
Et quel est notre propre trésor ?
Il est ce que le Bouddha appelle ‘’le Trésor de l’œil de la Vraie Loi’’, le Shôbôgenzô, titre que Maître Dôgen a donné à son œuvre. C’est pour trouver ce trésor que, nous venons pratiquer dans le dojo.
Assis, dans la pleine conscience de ce qui Est, nous accomplissons la raison même de notre existence. Le mystère se révèle dans la Présence. Nous nous asseyons et nous regardons l’impermanence, l’apparition et la disparition des choses, sans rien saisir, sans rien rejeter. Se laisser Être sans opposer le poids et la résistance des pensées discriminantes, des opinions conditionnées, des attentes et des peurs. Une acceptation inconditionnelle de ce qui apparaît dans notre propre esprit et que contemple le Trésor de l’Œil, Genzô. Un non-faire vivant, attentif et curieux, libéré du désir de devenir ceci ou cela.
Car pour percevoir les sensations, pour écouter les sons, sentir les odeurs, voir les lumières et les couleurs, pour contempler l’impermanence, nous n’avons aucun effort à faire. Simplement accepter ‘’ce qui vient à nous’’ et garder l’œil ouvert ! Il s’agit juste de nous confier, de nous laisser Être dans ce moment présent insaisissable et de nous rencontrer nous-mêmes dans notre propre lumière. Le Trésor est toujours déjà là et l’esprit d’éveil se révèle à lui-même !
Shantideva poursuit : « Au moment même où l’esprit d’éveil naît en eux, les plus misérables des prisonniers du Samsara**, méritent le nom de Bodhisattva ».
Nous ne devenons pas un bodhisattva en forçant notre volonté personnelle à courir vers un devenir imaginaire. Ce n’est pas un nom qui récompense des efforts, ni un nouveau statut qui nous différencie des autres !
L’esprit d’éveil est notre propre Trésor de l’œil et quand, dans la Présence vivante, il s’illumine en nous-mêmes, nous retrouvons le bodhisattva que nous avons toujours été, quelqu’un de fondamentalement bon et aimant. Un avec toute chose, avec chaque être : il n’y a plus de séparation, plus ni sujet ni objet, simplement total engagement dans l’éveil qui s’actualise de lui-même (genjo koan). C’est cela le secret de zazen, accepter de se laisser Être, simplement. C’est ainsi que le bodhisattva se révèle.
« N’abandonnez pas l’esprit d’éveil, recommande Shantideva, et vous traverserez les mille douleurs de l’existence, vous calmerez les souffrances des êtres et vous goûterez mille et mille bonheurs. J’ai quelque chose à offrir pour les êtres. Je renonce à moi-même et je me donne au Bouddha tout entier sans réserve ».
*Shāntideva, (685-763) moine indien de la Voie du milieu (madhyamika) une des principales écoles du bouddhisme mahāyāna.
**Samsāra, c’est le monde de l’errance perpétuelle, le monde de l’illusion, du moi conditionné.