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Karma et liberté – Florian Demont

Karma et liberté – Florian Demont

Karma et liberté

Enseignement – ressource

Par Florian Demont

L e karma. Ce terme est souvent vu comme synonyme de destin ou de déterminisme. Le karma donc serait un résultat et nous sommes condamnés à en faire l’expérience. On peut trouver quelque  part la même chose (même si c’est de façon beaucoup plus sophistiquée dans la culture védique, les Upanishads et aussi dans la culture occidentale ; en particulier dans le matérialisme scientifique  selon lequel nous sommes véritablement condamnés à faire l’expérience du jeu mécanique des causes et des effets comme décrits dans les meilleures théories – et d’après ces théories  il n’y a aucune autre expérience possible.

Néanmoins, si on voit le karma comme un résultat, ceci ne saurait être forcément dû à une théorie particulière à laquelle nous adhérons. Du point de vue bouddhiste, il y a des raisons  sychologiques à la fatalité. Si nous nous sentons isolés, incompris ou humiliés, alors nous sommes pris en otage par ce dont nous faisons l’expérience. Si nous nous voyons comme des victimes des circonstances, de notre passé, de notre personnalité, ou des autres, alors nous nous sentons vraiment condamnés à faire l’expérience de ce que nous expérimentons. Un tel point de vue fataliste est à l’origine d’une vie empêtrée dans la souffrance.

Les enseignements même du bouddha sur le karma visent à nous montrer une manière de sortir de la souffrance : en brisant le sortilège de la fatalité. Pour ce faire, il se concentre sur le sens du  mot karman : action. Ainsi pour les bouddhistes, le karma est beaucoup plus en lien avec les actions qu’avec les résultats. Comment cela fonctionne t-il ? D’abord nous devons comprendre la  puissance des actions de notre mental, de nos paroles et de notre corps. En jugeant comme nous jugeons, en disant ce que nous disons, en faisant ce que nous faisons, nous sommes  continuellement en train de façonner notre réalité. Si nous réduisons nos actions aux mêmes vieux schémas que nous avons toujours suivis, notre réalité ne sera qu’une répétition stupide et  ennuyeuse ce qu’elle a toujours été – récurrence éternelle de la pire sorte. Mais si nous ouvrons notre esprit, si nous considérons nos différentes options, et si alors nous façonnons attentivement  nos actions, la réalité sera riche et satisfaisante. Vraiment, cela doit être car c’est la loi du karma. Les résultats seront toujours inévitables, mais pour les esprits calmes et sages, les actions sont complètement souples, et c’est ce qui fait la différence.

Aussi, la façon dont les bouddhistes comprennent le karma nous fait réaliser que nous ne sommes ni otages ni victimes. Car se considérer comme tels, est au cœur même des pièges générés par la  souffrance et c’est aussi au centre des perceptions erronées que les bouddhistes appellent l’ignorance. Comprendre le grand potentiel des actions de notre mental, de nos paroles et de notre corps permet de voir la réalité telle qu’elle est : une souplesse interdépendante.

Il existe de nombreuses variétés de bouddhisme, mais toutes cherchent à corriger notre perception et à nous donner un accès direct au réel. Toutes enseignent la discipline éthique, peuvent y  ajouter l’amour et la compassion ; certaines enseignent par le corps, d’autres utilisent les visualisations et les mantras. Mais toutes attribuent l’accès total et direct à la réalité aux esprits sereins, clairs et éveillés, pour lesquels la souffrance est tout au plus un souvenir lointain du passé. Toutes ces méthodes nous apprennent à nous concentrer sur nos intentions, sur la volonté derrière nos actions. Nous apprenons à identifier nos intentions derrière nos jugements, ce que nous voulons atteindre par nos actes de langage et tous nos petits désirs, nos mobiles et nos besoins derrière les actions de notre corps. Plus nous voyons clairement le fonctionnement de nos intentions, plus nous pouvons influencer nos actions. Ceci est un point très important, et nous pouvons l’observer  clairement pendant zazen : intentions, volontés, mobiles et besoins apparaissent et exigent l’action, mais nous ne bougeons pas.

Ainsi la liberté dans le bouddhisme se résume ainsi : nous ne devons pas systématiquement faire ce que nous avons la volonté de faire. Et de réaliser cela nous donne assez de marge pour influer sur nos actions. Cette influence sur l’action, à son tour, nous permet de façonner la réalité en conscience. Et c’est ainsi au final que nous aurons la capacité d’abandonner toute souffrance.

Remarquez à quel point ceci est différent de la conception occidentale du libre arbitre. Tous les théologiens, philosophes et scientifiques qui s’intéressent au libre arbitre ont toujours été  pleinement conscients du fatalisme et des façons de penser le monde qu’il induit. Ils se sentent menacés par ces façons de penser car ils les trouvent soit inévitables, soit hautement probables ou simplement extrêmement répandues. Mais au lieu de déplacer l’objectif de leur recherche sur le moment présent, où il devient clair que nous ne sommes ni des victimes ni des otages condamnés à faire l’expérience de ce que nous expérimentons, ils ont essayé de se raisonner pour sortir du problème. Ils ont cherché à combattre le fatalisme par la pensée conceptuelle. Plus particulièrement, ils se sont efforcés de trouver quelle sorte de contrôle conscient nous avons sur nous-mêmes et le monde. Ils ont voulu découvrir s’il était possible de comprendre les phénomènes et de leur donner  une direction différente.

En regardant les gens dans la rue, dans les transports, au travail, à la maison ou ailleurs, en observant leur regard, la couleur de leur peau et leur attitude, nous arrivons à la conclusion que de   telles recherches sur le libre arbitre ne débouchent sur rien. Si nous sommes empêtrés dans notre souffrance, essayer de saisir un phénomène désagréable pour lui donner une direction différente  et meilleure n’est pas une stratégie viable. Ça ne marche pas. On n’obtient que davantage de frustration, d’isolement, de souffrance et on finit par trouver que nous sommes victimes ou otages des autres, des circonstances et du monde.

Le bouddhisme – sous toutes ses formes – nous offre une porte de sortie. Se concentrer sur ce que l’on fait ; Comprendre qu’il n’est pas toujours nécessaire de faire ce que l’on veut faire. Explorer  les interdépendances auxquelles nous sommes confrontés ; explorer leur souplesse ; et le plus important : se détendre et ne pas prendre les choses trop au sérieux. Laisser tomber et faire taire  notre petit moi cynique. Après tout, toute cette souffrance n’est quele jeu illusoire de nos perceptions perverties.

En fait, nous et l’univers allons plutôt bien, les choses changent et nous pouvons façonner la réalité aussi librement que nous l’entendons. Cela est entre nos mains

 

Sangha Tenborin