De quelle spiritualité notre monde a-t-il besoin aujourd’hui ?
C’est un défi chimérique de vouloir innover par soi-même sans s’appuyer sur ses idées personnelles, ses préférences ou ses aversions. Toute opinion personnelle est limitante pour les autres mais aussi pour soi-même. Toute évolution devrait être inspirée par un véritable esprit de compassion, c’est à dire libérée des traces de l’ego.
Zazen est une spiritualité toujours nouvelle, au-delà de toute mode, qui accède directement à soi-même, et comme le répétait Maître Deshimaru, l’essence de la religion. Cependant la tradition du zen utilise aussi un rituel substantiel pour accompagner et transmettre la pratique, et cela dérange de nombreux adeptes et sympathisants. La question du bienfondé ou de la nécessité du rituel est donc posée car son usage semble dissuader ceux qui aspirent à une spiritualité libérée des traces du passé.
L’ensemble des rituels pratiqués dans un groupe se résume par le mot liturgie, qui signifie « le service pour le bien commun de tous ». La vie d’un groupe, d’une nation, d’une
sangha se structure et s’organise par l’adoption d’une forme, d’un rituel religieux ou laïc, mis en place lors des rencontres collectives ou pratiqué à l’occasion de certains événements de la vie (naissance, décès, mariage, changement de saison…). En occident, il semble que notre système de référence fondé sur une approche cartésienne et scientifique, ainsi que l’image résiduelle de la religion « chrétienne » de nos parents, soient devenus des obstacles et même des contraintes à l’acceptation spontanée du rituel dans le zen.
Pourtant, que nous le réalisions ou pas, nous sommes en permanence réglés par des rituels personnels ou collectifs qui réaffirment continuellement nos choix de vie. C’est ainsi que nous faisons notre toilette, nous lavons les dents, nous habillons, prenons le café, rangeons nos affaires et satisfaisons même nos addictions… Tout est rituel ! Et dans la vie collective, que dire des rituels en vigueur à l’école, dans l’armée, dans un stade de football, dans une confrérie, chez les boy-scout, dans un groupe d’amateurs de bons vins… qui tous tentent de formaliser une identité de groupe sécurisante !
Les rituels zen, quelles que soient les intentions qui ont présidé à leur apparition dans le cours du temps, ont pour objectif d’affirmer la non-séparation entre l’essence et la forme (Ku soku ze shiki). La pratique du rituel dans un esprit éveillé réaffirme sans cesse cette non-séparation entre le « moi » et les dix mille choses, entre moi et l’univers entier. Notre vérité essentielle réside dans la totale adhésion à l’instant présent, seule réalité de nos existences. Alors quoique nous fassions, ce que nous pratiquons avec un cœur libre est ce que nous sommes. Le « moi » disparaît pour révéler Bouddha, la Réalité de toutes choses.
L’implication consciente, gratuite et pleinement acceptée d’une liturgie imprégnée de sens aide à réaliser cette non-séparation avec l’essence. Le quotidien s’incarne dans une forme désintéressée qui aide notre esprit à revenir à sa source. C’est comme une méditation qui se prolonge dans l’activité même du corps et de la pensée. C’est ainsi que rituels et cérémonies deviennent simplement pure présence qui remplit la totalité de nous-mêmes. C’est cela créer une nouvelle spiritualité qui habite le quotidien.
Le zen est cela, tout entier. C‘est dans cet esprit que nous pouvons créer la spiritualité qui parle à tous les êtres •
« Y a-t-il quelque chose en dehors de
l’instant ? Agissant dans une foi totale,
oubliant tout intérêt personnel, celui qui,
attentif, dans un geste simple plante un
bâton d’encens dans le pot de bronze aux
pieds du Bouddha actualise la vérité
des éveillés. »
Nan Shan