Lettre à un ami
Cher Fabien,
Tu es reparti bien brusquement dans l’invisible, et ça nous a tous surpris.
A 11h00, mardi matin, j’échangeais un texto sympathique avec toi.
Tu me disais que nous allions bientôt nous revoir à la Gendronnière.
Mardi soir, ta lumière a été soufflée par l’impermanence,
comme une bougie balayée par une bourrasque soudaine.
Si c’est ta manière un peu abrupte de nous enseigner l’impermanence,
toi qui aurais eu bien du mal à nous l’expliquer avec des mots,
hé bien, c’est réussi.
Radical autant que spontané.
Il y aura toujours quelqu’un comme toi pour nous provoquer
et nous inciter à réfléchir sur la vie, la souffrance, les inégalités.
Je t’ai connu à la Gendronnière en 92.
Tu as été un bon compagnon sur la Voie.
Nous étions alors débordé par les grands travaux de voirie et de mise aux normes.
Tu conduisais le tracteur dans la forêt, aussi sauvage qu’elle,
compagnon bourru à souhait pour déranger les esprits trop maniérés
et élaguer les révérences superflues.
Parfois perdu dans le brouillard de tes pensées,
ou bricolant des trucs inutiles, marchant dans les collines,
tu n’as pas arrêté de laisser ta créativité s’exprimer,
un peu clochard, un peu génial,
provocateur branché sur les étoiles autant que sur les combats d’idées.
Après notre aventure de Lanau, tu prenais tout juste ta retraite
et tu avais encore plein de projets, de centres d’intérêt, de rêves et de perspectives.
Et voilà que tout cela s’évanouit pour que vienne enfin, plutôt que prévu,
le temps du repos, du silence et du non-agir.
Alors, ne t’arrête pas à la mort et continues,
assis tout droit, immobile dans ton nouvel espace de lumière
à te laisser absorber par le silence.
De toute façon, c’est toujours tout droit devant toi.
Et ne t’inquiète pas !
Chacun de nous s’en va aussi vers sa mort qui l’attend un peu plus loin.
Nous ne nous quittons jamais, avec ou sans ce corps éphémère,
dans lequel s’est révélée la vérité d’être.
La mort n’éteint pas la Présence silencieuse et éternelle.
Elle n’éteint pas ce que nous avons vécu ensemble.
Elle n’éteint pas ton visage souriant qui revient dans notre esprit
chaque fois que la pensée t’y ramène.
La mort n’éteint rien.
Nous ne cessons pas de nous voir dans l’esprit.
Nous y partageons tout.
Nous nous inclinons profondément devant tes deux garçons et leur mère,
devant celles et ceux que tu as aimés, qui t’ont accompagné et qui ont partagé
tes joies et tes peines.
La tristesse nous envahit.
Laissons vibrer juste pour toi, aujourd’hui, dans notre bouche,
le sutra de la Grande Sagesse.
Tu la rejoins dans la douceur triste de notre amitié.
Que notre chant incite tous les Bouddhas à venir participer à notre cérémonie.
Tu es déjà l’un d’eux pour des périodes de temps incommensurables.
Nous te souhaitons bonne route vers le Nirvana.
– Guy Mokuho